Le secteur de la construction est connu pour son travail physiquement exigeant, sa « culture virile » et ses environnements à haut risque. Si l’on accorde souvent beaucoup d’attention aux aspects physiques de ce travail, une crise plus urgente, mais moins visible se profile : celle de la santé mentale des travailleurs de la construction.
Derrière leurs casques et leurs bottes à embout d’acier, de nombreux travailleurs sont aux prises avec des problèmes d’anxiété, de dépression, d’utilisation de substances et d’autres problèmes de santé mentale qui peuvent avoir des conséquences dévastatrices s’ils ne sont pas traités.
La crise de santé mentale dans les métiers, en chiffres :
- Le taux de suicide dans le secteur de la construction est plus de trois fois supérieur à la moyenne nationale : 53,2 suicides pour 100 000 travailleurs.
- 83 % des travailleurs de la construction déclarent avoir des problèmes de santé mentale.
- Les taux d’utilisation de substances dans les métiers, notamment d’opioïdes, de cocaïne et de marijuana, sont presque deux fois plus élevés que la moyenne nationale.
- Depuis 2016, de 30 à 50 % de tous les décès liés aux opioïdes chez les hommes ont touché des travailleurs des métiers.
Une lutte silencieuse
Les travailleurs de la construction sont confrontés à un ensemble unique de facteurs de stress qui contribuent à une mauvaise santé mentale : de longues heures de travail, une insécurité d’emploi, des mises à pied saisonnières et une culture qui décourage souvent la vulnérabilité.
Contrairement aux membres de nombreuses professions, les travailleurs de la construction peuvent passer de longues périodes sans emploi stable. L’instabilité financière causée par le travail irrégulier, ainsi que la douleur chronique que de nombreux travailleurs endurent en raison de tâches physiques exigeantes, peuvent déclencher anxiété et dépression.
C’est une lutte que Trevor Botkin ne connaît que trop bien. M. Botkin a passé toute sa carrière dans le secteur de la construction en tant que charpentier, contremaître et directeur de travaux à Victoria, en Colombie-Britannique. Aujourd’hui, il défend sans relâche les intérêts des hommes qui sont aux prises avec des problèmes de dépendance et de santé mentale dans les métiers.
M. Botkin a su que le secteur de la construction était fait pour lui lorsqu’il a décroché son premier emploi il y a 30 ans. « Au bout de trois heures, je me suis dit : “Ces gens sont comme moi, c’est ici que je suis à ma place”, raconte-t-il. C’est un secteur qui rassemble des personnes qui n’ont pas leur place ailleurs. »
Mais M. Botkin s’est rapidement tourné vers la drogue et l’alcool pour faire face à l’anxiété et au stress liés à son travail dans le secteur de la construction. Même s’il a gravi les échelons dans son domaine, il a souffert en silence pendant des décennies, sans oser parler de ses problèmes d’utilisation de substances, de peur d’être rejeté par ses collègues.
Cet homme originaire de la Colombie-Britannique a touché le fond en janvier 2018, lorsqu’il a failli mettre fin à ses jours. Cette expérience traumatisante a incité M. Botkin à mettre son expérience de vie au service de ses pairs afin de les aider à relever les mêmes défis que ceux auxquels il a été confronté pendant près de trois décennies.
Botkin est aujourd’hui responsable des relations avec le secteur à la Construction Foundation of British Columbia, où il codirige The Forge, une initiative menée par des pairs qui s’attaque à la crise de la santé mentale dans les métiers spécialisés.
« En formant des personnes de métier ayant une expérience vécue à devenir des pairs aidants, nous favorisons la confiance, réduisons la stigmatisation et orientons les travailleurs vers des ressources qui les aideront à se rétablir », explique M. Botkin.
Culture en milieu de travail et stigmatisation
L’un des principaux obstacles à la prise en charge des problèmes de santé mentale dans les métiers est la culture du « gars coriace » qui y règne. Le secteur est dominé par les hommes, et les notions traditionnelles de masculinité — stoïcisme, autonomie et refoulement des émotions — y sont profondément ancrées.
Cette culture stigmatise souvent les problèmes de santé mentale, les considérant comme un signe de faiblesse plutôt que comme un problème de santé légitime. De nombreux travailleurs estiment qu’ils ne peuvent pas montrer leur vulnérabilité de peur de perdre le respect de leurs collègues, d’être considérés comme peu fiables ou même de compromettre leur carrière. Cette réticence à s’exprimer signifie que les problèmes passent souvent inaperçus jusqu’à ce qu’ils atteignent un point critique.
Cameron Grunbaum est conseiller clinicien et propriétaire de Iron Tree Counselling, situé à Langley, en Colombie-Britannique.M. Grunbaum se spécialise dans les services de consultation destinés aux travailleurs de la construction dans plusieurs domaines de pratique, tels que les traumatismes complexes, l’utilisation de substances, la dysrégulation émotionnelle et la gestion du stress.
« Les normes hypermasculines du secteur de la construction contribuent grandement à la diversité des problèmes de santé mentale et de dépendance auxquels sont confrontées les personnes de métier », explique M. Grunbaum.
« La culture du “agir maintenant, réfléchir plus tard” pousse les hommes à accomplir des tâches pour lesquelles ils ne sont pas formés dans des environnements dangereux. Les dangers physiques dans les métiers manuels sont réels et omniprésents : tous les jours, à tout moment Il faut être vigilant en permanence pour rester en sécurité. »
Facteurs à l’origine de la crise de santé mentale
Dans un secteur dominé par les hommes, où le fait d’être coriace et fort est valorisé, les problèmes de santé mentale ou le fait de demander de l’aide sont souvent considérés comme une faiblesse personnelle.
- Honte et peur du jugement
- Douleur chronique
- Travail saisonnier et cyclique contribuant à des tensions familiales et financières
- Travail très stressant et soumis à des délais
- Longues heures de travail, y compris la possibilité d’un volume important d’heures supplémentaires, entraînant de la fatigue
- Séparation de la famille lorsque l’on travaille loin de la maison
Le mécanisme d’adaptation ultime : l’utilisation de substances
Il existe plusieurs raisons pour lesquelles les travailleurs de la construction sont plus touchés par les surdoses et les effets néfastes de l’utilisation de substances que les hommes exerçant d’autres professions :
- Les métiers sont physiquement exigeants et stressants. Après une journée épuisante, les travailleurs ont souvent tendance à célébrer ou à se détendre en consommant des substances, telles que des drogues et de l’alcool.
- Les blessures et la douleur étant courantes dans les métiers, les travailleurs ont souvent recours à des substances pour soulager leur douleur. Le soulagement de la douleur est l’une des voies d’accès aux opioïdes pour les travailleurs.
- Les travailleurs sont souvent découragés de parler de leur dépendance et de leurs problèmes de santé mentale. Ils sont donc moins enclins à demander de l’aide lorsqu’ils en ont besoin.
« L’épuisement physique des travailleurs de la construction a des conséquences dramatiques, explique M. Botkin. C’est comparable à la vie d’un athlète professionnel. La pression est énorme et la culture qui prône de se donner à fond, au travail comme dans les loisirs, mène inévitablement à la consommation de drogues », ajoute-t-il.
Grunbaum affirme qu’il existe une attente dans le secteur selon laquelle les travailleurs doivent faire des heures supplémentaires malgré la contrainte physique ou mentale à laquelle ils sont soumis. Il explique que la pression pour travailler de longues heures est immense : souvent 12 heures par jour, six jours par semaine.
« Il n’est pas surprenant que de nombreux travailleurs se tournent vers la drogue et l’alcool comme mécanisme d’adaptation dans ces environnements de travail intensif où “ça passe ou ça casse” », explique M. Grunbaum.
La dépendance à des substances souvent toxiques n’a pas seulement des répercussions sur la santé individuelle, mais compromet également la sécurité sur les chantiers. Un jugement affaibli, des temps de réaction réduits et des surdoses entraînent des accidents qui mettent les collègues en danger.
Services de soutien individuel par les pairs : un outil essentiel
M. Botkin affirme que former les travailleurs et les superviseurs à reconnaître les signes de détresse sur les chantiers est une première étape importante pour lutter contre la crise de santé mentale dans les métiers. Il ajoute que des discussions ouvertes sur la santé mentale, le recours à des services de soutien et de consultation confidentielle peuvent contribuer à réduire la stigmatisation.
Les services de soutien individuel par les pairs sont un outil essentiel pour aider les hommes à amorcer un processus de rétablissement durable, explique M. Botkin. C’est comme si nous criions par-dessus la barrière de chantier : « Il y a de l’aide ici… Il y a de l’aide ici! »
« The Forge a pour objectif de franchir cette barrière de chantier afin d’apporter aux travailleurs le soutien efficace dont ils ont besoin. Il s’agit de se salir les mains avec les hommes qui portent ces bottes et qui sont aux prises avec des problèmes de dépendance et de santé mentale. »
Impulser le changement de l’intérieur
Les employeurs et les syndicats peuvent jouer un rôle de premier plan dans l’amélioration de la santé mentale des travailleurs de la construction. Les entreprises reconnaissent de plus en plus l’importance des programmes de bien-être mental tels que The Forge, mais les progrès dans ce domaine ne sont pas uniformes dans l’ensemble du secteur.
Il peut s’agir de programmes d’aide aux employés, de formations aux premiers secours en santé mentale et de systèmes de soutien par les pairs pour aider les travailleurs en difficulté.
Les syndicats peuvent également être de puissants défenseurs de la santé mentale, utilisant leur influence pour exiger de meilleures conditions de travail, la sécurité d’emploi et l’accès aux soins de santé. À plus grande échelle, des changements politiques sont nécessaires pour s’attaquer aux problèmes systémiques qui affectent la santé mentale des travailleurs. Les gouvernements et les organismes sectoriels doivent collaborer pour veiller à ce que la santé mentale soit traitée avec le même degré d’urgence que la sécurité physique.
Ce que les travailleurs et les dirigeants peuvent faire
M. Botkin adresse un message clair aux travailleurs qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale. « Ayez le courage de demander de l’aide et de faire quelque chose de différent. »
« Il existe des ressources pour vous aider : ouvrez votre esprit et votre cœur. En demandant de l’aide, vous ne vous aidez pas seulement vous-même, vous aidez aussi quelqu’un d’autre. Chaque fois que vous vous confiez à quelqu’un, vous lui donnez la permission de vous parler sincèrement. »
Le message de M. Botkin aux dirigeants est tout aussi succinct. « Commencez à susciter un débat public sur les conséquences de la crise liée à la dépendance et à la santé mentale sur le secteur. » Mais ce vétéran du secteur de la construction est optimiste quant à l’avenir de la santé mentale dans les métiers, grâce aux progrès réalisés par les jeunes travailleurs.
« Les jeunes sont l’avenir des métiers : ils ont une vision avant-gardiste des questions de santé mentale. Et ils sont déterminés à améliorer le secteur », déclare M. Botkin.
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